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Le Monde
Économie et Entreprise, jeudi 16 octobre 2014, p. SCQ8

Le Monde Eco et entreprise
Médias & pixels
Le fragile succès des programmes « made in Tel-Aviv »
Si les productions israéliennes s'exportent bien, leurs audiences à l'étranger restent souvent décevantes

Marie de Vergès

Jérusalem - correspondance - Des stars du sport, des planches ou du petit écran qui perdent tous leurs moyens devant les fourneaux et doivent tenter de surmonter leur « culinaro-phobie » sous l'oeil des caméras : voilà le concept de la dernière émission phare du groupe de télévision israélien Keshet. Le public adore : lors de son lancement mi-septembre, « Help! I Can't Cook » a rassemblé plus de 43 % des téléspectateurs du pays.

Codéveloppé avec la société israélienne Gil Productions, le format est proposé aux acheteurs du monde entier réunis à Cannes du 13 au 16 octobre pour la nouvelle édition du Marché international des programmes (MIP). Le « reality show » connaîtra-t-il le même destin que « Rising Star » ? En 2013, Keshet a fait un carton en vendant à quelque 25 pays ce télé-crochet participatif, diffusé en France sur M6 depuis la rentrée.

Pas sûr, pour autant, que le groupe souhaite que son nouveau jeu connaisse le même destin. Car si « Rising Star » a été un triomphe à la vente, ses audiences ont déçu sur plusieurs gros marchés. Succès retentissant lors de sa diffusion en Israël, le concours de chant a fait un flop aux Etats-Unis et en Allemagne sur les chaînes ABC et RTL. Il a même été déprogrammé par ITV en Grande-Bretagne et en France, le jeu a perdu 1,6 million de téléspectateurs en trois semaines sur M6!

, décrit Bertrand Villegas, cofondateur de l'agence The Wit qui scrute et décortique les contenus audiovisuels du monde entier.A l'en croire, pour cette nouvelle édition, l'importante délégation venue de l'Etat hébreu - 150 participants dont 50 producteurs - est attendue au tournant. « Les Israéliens sont apparus l'an dernier comme les rois d u MIPOn arrive maintenant à un moment clé : ils ont montré qu'ils étaient des as en matière de créativité et de marketing; mais s'ils vendent comme des fous, il faut aussi qu'à un moment cela se traduise en vrais résultats d'audience. »

Le pays a gagné en crédibilité

Voilà plusieurs années qu'Israël monte en puissance sur la scène télévisée internationale. C'est d'abord grâce à la fiction, art noble, que le pays a gagné en crédibilité. « Naked Truth » , « In Treatment » et surtout « Homeland » sont toutes des adaptations de séries israéliennes. Les feuilletons « made in Tel-Aviv » ne sont pas toujours des succès d'audience. Mais, applaudis pour leur qualité, ils séduisent les chaînes étrangères qui se risquent parfois à acheter sur scénario des programmes pas encore diffusés en Israël. En 2013, l'américaine CBS a acquis les droits de la série israélienne « Hostages » avant même que celle-ci soit produite dans son pays d'origin e.

La recette de cette bonne fortune? Un goût du risque qui s'est révélé payant., souligne Olivier Tournaud, responsable de la coopération audiovisuelle avec Israël, à l'ambassade de France à Tel-Aviv. Des budgets serrés, aussi, qui incitent les producteurs à faire preuve d'innovation et à plancher sur la meilleure idée. Un credo valable aussi bien pour les séries que pour les jeux et émissions de plateau : selon une étude Eurodata TV Worldwide, 50 % des fictions et plus de 60 % des divertissements diffusés en Israël en 2013 étaient des productions originales. « Les chaînes israéliennes n'hésitent pas à promouvoir des programmes audacieux sur des sujets tels que la guerre ou la religion, et cela suscite l'intérêt »

La taille limitée du marché israélien pousse les sociétés à créer des contenus parfaitement calibrés pour l'exportation., estime Guy Martinovsky, représentant en Israël du Reed Midem, l'organisateur des salons MIP. « Le désavantage d'être un petit pays a été transformé en opportunitéIsraël a su tirer parti de sa proximité culturelle avec les Etats-Unis et l'Europe pour développer ici des produits médias qu'il revend ensuite à l'étranger. »

L'un des pionniers de cette stratégie est le groupe Armoza Formats. Qu'on en juge : 65 programmes tirés de son catalogue sont actuellement en production dans 35 pays différents! A en croire son patron, Avi Armoza, la déferlante israélienne n'en est qu'à ses balbutiements., assure-t-il. Un procédé directement inspiré de la high-tech, secteur clé en Israël où tout est conçu pour le marché global. « On voit sans cesse arriver de nouvelles sociétés qui ont compris le potentiel de cette industrie et pensent tout de suite mondial »

« Start-up nation »

Pour M. Armoza, la force d'Israël en télé résiderait justement dans son statut de « st art-up nation » affichant la plus forte concentration d'entreprises technologiques au monde. L'interactivité, le second écran y sont déjà une réalité., explique-t-il. « Nous avons tous les outils à disposition pour fabriquer la nouvelle génération de formats où le téléspectateur est aussi participantRegardez "Rising Star" : certains ont peut-être critiqué le contenu, mais tout le monde a reconnu l'innovation technologique. »

L'émission musicale offre pour la première fois la possibilité de voter en direct par l'intermédiaire d'une application gratuite. Fini, les SMS et appels surtaxés : le téléspectateur devient le véritable jury, sans lâcher un centime. L'inventeur de cette révolution technique s'appelle Screenz. A la frontière entre Web et télévision, l'entreprise israélienne est déjà très courtisée. Armoza l'a sollicitée pour « The People's Choice » , un quiz interactif développé avec TF1 Production et qui sera présenté à Cannes.

Alliée à la créativité, la dimension numérique permettra-t-elle de pérenniser l'attrait pour la production israélienne malgré certains couacs d'audience? Semblant faire ce pari, les sociétés étrangères multiplient partenariats et acquisitions. Fin 2013, le roi de la téléréalité Endemol a envoyé un signal fort en acquérant 33 % de Reshet, l'un des principaux réseaux de l'Etat hébreu. Et TF1 a acheté le jeu « Boom » , prévu à l'antenne en 2015 (Keshet). Reste une ambiguïté résumée par M. Villegas : « Pour l'instant, la provenance israélienne agit comme un argument publicitaire. Mais la preuve de la maturité, c'est quand on ne saura plus que leurs programmes viennent de chez eux. »

Réunis à Cannes à l'occasion de la 30e édition du MIP COM (du 13 au 16 octobre), le grand marché des programmes audiovisuels, les responsables des chaînes viennent chercher l'inspiration pour leurs futures grilles de programmes. Cette année, ce sont les jeux télé qui ont le vent en poupe dans les allées du Palais des festivals cannois. Au Pays-Bas, le programme « 100 Years of Wisdom » se présente comme un quiz réservé aux personnes centenaires, tandis qu'en Grande-Bretagne l'émission « 50 Ways to Kill Your Mammy » (« 50 façons de tuer votre grand-mère ») se présente comme une balade loufoque semée d'épreuves entre un comédien irlandais et sa grand-mère. Plus classique, la Suède se passionne pour le jeu « Trash or Treasure » où des candidats doivent trier de vieux objets pour découvrir celui qui a une vraie valeur marchande.

Illustration(s) :

La série israélienne « Hatufim » a été créée par Gideon Raff en 2010. - PHOTO : Keshet Media Group / DR

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